Après avoir assisté à la première édition de cet événement à Arcachon qui m'a inspiré un billet d'humeur sur le devenir de la presse quotidienne nationale, j'ai suivi avec intérêt deux débats :
- Les médias, dictature d'une élite ?
et
- Vivons-nous en démocratie ?
Le premier débat réunissait des journalistes de trois pays : la France avec Patrick Jarreau, l'Allemagne avec Rudolf Balmer, correspondant de la TAZ (TagesZeitung) et la Belgique avec Charline Vanhoenacker, correspondante pour la RTBF.
En réaction au mot "dictature", R. Balmer estime que l'expression est exagérée et populiste, mais il n'est pas inutile de s'interroger sur la pression économique.
P.Jarreau estime également que le mot de dictature est gênant. Pour lui "l'élite" a fait ses preuves par la sélection et non grâce à une oligarchie. Le débat de 2005 sur Maastricht est cité en exemple pour illustrer les divergences entre les élites et la population. S'il est vrai que les média y étaient alors globalement favorables, il était surtout difficile de trouver des plumes qui pouvaient prendre la parole contre le traité. C.Vanhoenacker (RTBF) explique que la Belgique est une société très consensuelle mais constate néanmoins que globalement les adversaires au traité étaient moins visibles.
Ce débat français sur la dictature des médias semble à R.Balmer correspondre également à des frustrations dues à la centralisation des médias français et leur parisianisme qui renforce parfois cette impression de pensée unique.
P.Jarreau explique d'ailleurs que dans la presse anglo-saxonne il existe une muraille de Chine entre les pages éditoriales et les pages d'infos. En France il y a peu de séparation. La presse a néanmoins fait des progrès notamment grâce aux médiateurs qui apportent beaucoup dans cette écouté des lecteurs.
C.Vanhoenacker se dit parfois agacée par cette manie française de vouloir tout commenter. " Peut-on avoir un avis sur tout", se demande-t-elle ? Elle regrette également la "starification" des éditorialistes... "L'editocratie" ne cesse de se montrer à la télévision à l'instar de FOG. Or il ne faut jamais oublier la dichotomie entre une "aristocratie" surexposée et la majorité d'une profession de plus en plus fragilisée.
R.Balmer rappelle également que le modèle économique de la presse française qui appartient souvent à des groupes industriels participe à ce phénomène. La Tageszeitung a une structure économique basée sur la coopérative (société des lecteurs) et connaît de ce fait une plus grande d'indépendance. Enfin, Charline Vanhoenacker rappelle que la formation de journaliste est souvent ouverte qu'à des élites. Le comble est la création d'une école de journalistes à Sciences Po : la boucle est bouclée et les couples se forment entre journalistes et décideurs politiques. Pendant les campagnes électorales un journaliste suit souvent le/la même homme/femme politique et une connivence se crée. P.Jarreau ajoute à cela la standardisation des formations. L'apprentissage de techniques ressemblantes entraîne un appauvrissement de l'expression journalistique. Lors du jeu des questions/réponses, certains ont pu découvrir le terme de "pure player" et une spectatrice a souligné le peu de femmes représentées lors des tables rondes (30 hommes pour 11 femmes), donc du côté de la parité le journalisme a aussi du chemin à faire.
Le deuxième débat réunissait Emmanuel Todd, démographe et essayiste, John R. MacArthur, directeur de Harper's Magazine et Bernard Guetta, éditorialiste du France Inter. Ce fut pour moi une occasion de découvrir les délires d'Emmanuel Todd qui a utilisé cette tribune pour exposer pêle-mêle son discours "anti libre-échange", "anti-gérmanique", "anti-riches" tout en appelant de ses voeux le retour de la "planche à billet" ainsi qu'un rapprochement avec les Etats-Unis et l'Angleterre. On ne lui souhaite pas le retour des monétaristes au pouvoir ;-)
Bernard Guetta a su recentrer ce débat en soulignant que ce dernier aurait été impossible en Chine ou en Iran ; avec tous ses travers qui existent bien entendu, il est tout de même exagéré de penser que nous ne vivons pas dans un pays démocratique.
En tout les cas on ne peut que féliciter les Tribunes de la Presse de sortir des débats "politiquement corrects"; on ne s'y ennuie pas et nous leur souhaitons longue vie !
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